Lundi 19 juillet / Preveza – Petriti (île de Corfou)
Départ de bonne heure pour le vrai début de nos navigations. Mer calme avec petite houle au départ. Un peu de vent ensuite. La journée s’écoule agréablement et nous arrivons au niveau de Petriti et son long banc de sable immergé et turquoise. C’est là que nous entreprenons de rentrer la grand-voile. Le moteur enroule un peu la voile dans le mât, puis se met à tourner dans le vide. Il faut ressortir la portion de voile du mât et l’affaler en entier sur le roof. En raison des lattes verticales, le « tas » déborde de tous les côtés et nous le ficelons au mieux pour entrer dans le petit port de pêche. Heureusement nous trouvons une place au quai et Emile regarde de plus près le problème et contacte un représentant de Selden, qui pourra intervenir à Gouvia demain.
Premier bain de mer divin à la petite plage de galets contigüe au port, accompagné des parfums de laurier, thym, eucalyptus et le bruissement frénétique d’une myriade de cigales. C’est exquis!A la tombée de la nuit, les bateaux de pêche locaux (assez grands) quittent tous le port en bande groupée en trainant un petit bateau en remorque, suivis par un nuage de mouettes. Nous les verrons rentrer au petit matin, sans savoir quel type de pêche ils pratiquent ni où exactement.
Mardi 20 juillet / Petriti – Gouvia (île de Corfou)
Nous avons quitté Petriti de bonne heure et nous sommes arrivés à Gouvia en fin de matinée. Ce n’était pas facile de voir devant avec le gros tas de linge qui débordait du roof, mais à deux on a pu assurer la sécurité tout de même. A Gouvia on nous a dirigés vers le ponton Lima, lieu de refuge de tous les estropiés des mers. Là s’activent les équipes techniques du chantier pour réparer tous les petits bobos ou faire aussi les grosses réparations.
Le correspondant d’Emile est venu assez vite. Il a regardé le problème et a annoncé qu’il y en aurait pour cinq cents euros. Puis il a éclaté de rire et à dit « non c’est tout simple ne vous inquiétez pas ». Il a envoyé deux de ses gars pour réparer. Mais quand ils ont démonté et regardé de plus près, il ont trouvé deux problèmes au lieu d’un. Vraisemblablement à la construction une goupille a été oubliée et son absence a permis le jeu d’un petit loquet qui a agrandi le trou d’une autre pièce, etc, etc…. Bref ils ont dû usiner une nouvelle pièce, remplacer un ressort (qui devra être remplacé au retour en France car ils n’en avaient pas en acier inoxydable). Puis ils ont remonté la voile et l’ont actionnée plusieurs fois. Ca fonctionne très bien maintenant.
Nous avons décidé de rester sur place jusqu’au matin. Nous avons fait un complément d’avitaillement puis sommes allés dîner au restaurant sur le port.
Mercredi 21 juillet / Gouvia (île de Corfou, Grèce) – Saranda (Albanie)
Départ de Gouvia pour une courte navigation. Sur le « trottoir d’en face » c’est l’Albanie. Notre première escale est Saranda. Au fur et à mesure que nous progressons vers les hautes collines pelées et la ville qui s’étend assez largement au bord de l’eau, nous croisons de moins en moins de bateaux. Nous ressentons même un sentiment de solitude en approchant de la côte albanaise. La ville est surprenante, on ne voit que des immeubles, assez espacés les uns des autres, quasiment aucune maison individuelle en vue. Nous avons du mal à repérer le port. Heureusement, notre « agent », Jelja Serani est déjà au bord du quai et nous guide par téléphone et VHF vers un gros yacht, puis un petit bout de quai où sont déjà amarrés un voilier et deux grosses vedettes. La place restante est juste assez large pour nous. Nous jetons l’ancre et reculons cul à quai. La jeune femme prend nos papiers et ceux du bateau et s’en va faire les formalités pour nous. Elle revient un bon moment après, tout est en règle. Elle nous donne gracieusement des recommandations de visite, des infos sur les supermarchés, le téléphone etc. Elle peut aussi nous louer une voiture. Nous quittons à pied le « Terminal » des ferries encerclé de grilles et barbelés et suivons la plage contigüe par une jolie promenade bordée de palmiers, jusqu’à une boutique Vodafone. Notre interlocutrice ne brille pas par son amabilité, mais nous vend une carte sim locale. Puis nous prenons possession de la Fiesta rouge que le mari de Jelija nous apporte. Pas de GPS ni de carte routière, nous partons en exploration avec la photocopie d’un vague plan touristique de la ville et du pays où Jelija a marqué les points intéressants. A Saranda le stationnement est difficile et anarchique, la signalisation routière minimaliste voire inexistante et la maréchaussée omni-présente. En périphérie de la ville on voit des maisons individuelles dont la construction d’un bon nombre semble avoir été abandonnée il y a longtemps. Nous ratons l’embranchement de Butrinti et nous retrouvons malgré nous sur la route de Gjirokastra, à l’assaut de la montagne. La chaussée de cette route principale est mauvaise et notre progression assez lente. Quand nous arrivons à un embranchement de Delvina, nous réalisons que nous n’avons pas encore parcouru la moitié du trajet. Emile décide de rentrer en passant par la « old road » de Delvina. Pauvres de nous et pauvre voiture. Pas le moindre trafic, mais une chaussée de cailloux percée de nids de poule, entrecoupés de rares restes de goudron sur des km et des km. La piste serpente dans la moyenne montagne principalement couverte de végétation sèche et rase ou de forêts d’arbres dans les vallées et les creux. Nous avons peur de casser un cardan ou crever un pneu dans ce désert. Nous passons un groupe de trois ou quatre pauvres maisons et un petit troupeau de vaches sans détecter de présence humaine. Des taons nous prennent en chasse et essaient de piquer la voiture. Nous finissons enfin par atteindre Delvina et une route relativement décente, fort appréciée. Retour au bateau derrière les grillages. La houle agite notre recoin. Nous retendons l’ancrage et les amarres, pour limiter un peu les dandinements d’Heolia qui se poursuivent toute la nuit.
Jeudi 21 juillet / Saranda
Journée à terre. Nous partons en voiture pour Butrinti situé au sud de Saranda dans un parc national. A l’aller nous prenons la route à l’intérieur des terres et passons à l’est du lac de Butrinti et des cultures luxuriantes de la vallée. Ce sont principalement des agrumes, un peu de mais et des oliviers. En route, nous devons éviter une tortue terrestre qui achève tranquillement de traverser, puis un troupeau de biquettes pas bien grasses. Nous arrivons à l’embouchure où le lac se jette dans la mer. A notre surprise, il n’y a pas de pont, mais un bac électrique, guidé par deux câbles d’acier. Il arrive justement face à nous et deux voitures débarquent. Nous suivons celle qui attendait de notre côté et montons à bord. Deux autres voitures s’incrustent aussi, pas plus, l’espace est plein. Le bac traverse aussitôt et nous débarquons sur l’autre rive quelques minutes plus tard.
Un peu plus loin, nous prenons une piste sur la gauche. Un grand panneau publicitaire vente les avantages de la plage et du restaurant à son issue. Nous suivons plusieurs autres candidats. Des petits tas de terre attendent sur la piste qu’on veuille bien les étaler dans les trous. Bientôt notre petite caravane s’arrête devant une barrière. Puis toutes les voitures font demi-tour les unes après les autres. Nous ne demandons pas notre reste et faisons de même. Un peu plus loin en faisant une photo, je comprends que les potentiels clients sont éconduits, car le lieu appétissant est déjà bondé. C’est la période des vacances pour les albanais aussi. Par ici, une voiture sur trois est une Mercedes. Un autre tiers est partagé entre les Audis et les BMW. Le reste seulement est du tout venant. Les albanais semblent dépenser davantage pour leur véhicule que pour leur demeure. Certaines semblent abandonnées et beaucoup affichent des ferrailles en l’attente d’un étage qui ne semble pas vouloir arriver. Mais en rentrant sur Saranda, nous traversons une zone d’hôtels chics et modernes dont certains sont encore en construction.
Nous rendons la voiture, la conduite n’est vraiment pas un plaisir en raison de l’état des routes, des embouteillages en ville et du manque de civilité des conducteurs. Nous nous rendons à pied à la plage la plus proche et Emile goûte l’eau pas très claire. Je réserve mon envie pour de meilleurs lieux de baignade.
Jelja, notre agent de Saranda Summer Tours, monte à bord en fin d’après midi comme convenu pour régler les comptes en vue de notre départ. Nous discutons un peu du pays et de son activité professionnelle. La pandémie leur a fait perdre 80% d’activité en 2020. Tous les touristes ne sont pas encore revenus cette année, mais c’est mieux.
Vendredi 23 juillet / Saranda – Orikum
Grande journée de navigation devant nous. Nous larguons les amarres à 6h30 et levons doucement la chaîne de l’ancre en raison de la proximité d’un yacht avec son parcours. Tout se passe bien et nous mettons le cap au nord. A la sortie, nous retrouvons la bonne houle qui n’avait pas cessé de nous balloter au port. La vigilance s’impose car des parcs d’aquaculture se dressent sur notre route, loin de la côte. Un petit pêcheur dans son frêle esquif nous voit passer de très près aussi. Nous nous rapprochons de la côte en espérant y trouver moins de houle. Notre route s’en trouve rallongée d’autant.
Toujours pas grand monde sur l’eau et aucun voilier, quelques pêcheurs près de Saranda, des gros « promène-vacanciers » et deux matelas gonflables en déshérence, aux approches d’Orikum.
Le temps est un peu couvert, moins chaud. La côte un peu plus verdoyante par endroits. Des complexes hôteliers sont en train de pousser ici et là. A l’approche d’Orikum des plages sont aménagées, quand la côte le permet, sinon sculptées dans les rochers.
A notre arrivée, le « directeur » de la marina d’Orikum nous attend, flanqué de l’incontournable policier. Il nous indique une place libre et s’emmêle un peu dans les pendilles. Celle qu’il finit par nous passer n’a pas dû voir de bateau depuis mathusalem. Elle est colonisée par tout un tas de gros mollusques et de vase qui se retrouvent malencontreusement sur notre pont. Il nous faudra laver à grandes eaux ce dernier ainsi que la baille à mouillage, pour leur rendre leur propreté.
Orikum possède la seule marina d’Albanie (construite par des italiens). Son état présente une certaine décrépitude. Les seuls autres touristes ici semblent être des albanais de souche qui vivent à New York maintenant. Une sorte de lagune entoure la marina. Une fumée s’élève de la montagne proche. Un feu couve et à la nuit on aperçoit les braises. Heureusement il n’y a pas de vent pour l’attiser. Un énorme semi-rigide noir équipé d’un radar, qui ressemble bigrement à un « go-fast » entre au port à la nuit tombante. Les jeunes hommes qui en descendent ont aussi le physique de l’emploi. Le port est bien protégé et nous passons une nuit calme et reposante.
Samedi 24 juillet / Orikum
Emile récupère notre petite Yaris bleue et nous suivons le littoral vers Vlorë. La côte est une enfilade de plages hérissées de parasols et chaises-longues, devant des restaurants et bars. Nous croisons un flot de Mercedes et autres voitures haut de gamme qui emmènent leurs passagers à la plage, au restaurant. Ce sont les vacances et par dessus le marché le week end. Il semble quasiment impossible de trouver encore une place pour se garer le long de la route. Nous poursuivons jusqu’à Vlorë. La ville présente au centre des immeubles typiques des pays de l’est. Nous essayons de visiter le port, mais il est sous douane et notre présence n’est pas souhaitée. Seuls les ferries y accostent.
Nous décidons de partir à l’intérieur des terres pour visiter et chercher un restaurant. Nous repassons par un carrefour où un policier s’échine à améliorer le croisement des automobilistes indisciplinés, puis s’avoue vaincu et les laisse s’imbriquer jusqu’à bloquer la circulation, sous l’oeil indifférent de ses collègues, postés un peu plus loin.
Nous prenons la direction de Selenicë, un village un peu plus important que ses voisins sur notre carte routière. La route toute neuve que nous empruntons ne figure pas sur la carte. Nous passons un cimetière où on a installé des pare-soleil au-dessus des tombes. Nous entrons dans Selenicë et traversons sans rencontrer le moindre restaurant. A la sortie, nous pensons en avoir trouvé un, en face d’un monument imposant à la gloire de combattants. Mais c’est un bar. Nous franchissons le pont sur le lit d’une petite rivière avec l’idée de rejoindre la côte par une autre route. Mais nous tombons immédiatement sur du caillou et des nids de poules. Demi-tour on repasse le pont et sur l’autre rive, nous trouvons une autre route neuve, qui relie directement Orikum par la montagne. Elle est encore en chantier par endroits. C’est son tracé encore frais au flanc de la montagne que nous avons vu depuis la mer en arrivant à Orikum.
Finalement, nous nous installons dans un restaurant proche de notre point de départ. Aucun plat typique albanais n’est proposé et mes quatre langoustines grillées coupées en deux dans le sens de la longueur sont bonnes mais un peu maigres à mon goût. Emile a opté pour la valeur sûre de linguines aux fruits de mer, puis le « soufflé » du dessert s’avère être une sorte de moelleux au chocolat. Petites courses à Orikum en vue de notre départ le lendemain et carburant pour la voiture de location. Une stèle mortuaire se dresse à côté des pompes, sur les routes aussi on peut en voir aux endroits où des gens ont trouvé la mort. Dans l’enceinte de la marina, se trouve encore une casemate, vestige de la paranoïa communiste.
Une noce de gens du Kosovo se tient sur une grosse vedette qui tourne dans la marina avec force musique et éclats de voix. Un policier nous confie qu’ils ont bien bu et fumé. Un peu plus tard, on le voit avec ses collègues interpeler les contrevenants. Il n’y aura pas de tapage nocturne dans la marina. On espère qu’ils auront tout de même pu finir leur fête ailleurs.
Dimanche 25 juillet / Orikum – Durrës
Peu après le départ d’Orikum la côte s’abaisse pour dessiner une simple ligne à l’horizon. La mer turquoise est absolument plate et l’horizon se perd dans la brume. Pas de vent, inutile de sortir les voiles, la traversée se fera d’un trait au moteur d’un bout à l’autre (le capitaine reste en mode « charentaises »). Durant le transit nous ne croisons qu’une seule vedette à moteur, quelques bancs de poissons qui forment des taches foncées mouvantes sur l’eau et un vol groupé de moustiques qui s’invitent à l’intérieur de l’habitacle. S’ensuit une chasse à la tapette, donc quelques individus survivront hélas pour se venger la nuit.
Durrës s’étend très largement tout au long de la baie. Le port, au bout du chenal balisé, est immense. Nous rejoignons le quai où nous attend l’incontournable agent. Ce n’est pas la place qui manque. Seulement trois voiliers sont à quai un peu plus loin. Heolia est amarré le long d’un autre quai, contre les gros pneus qui servent de protection. Emile est invité à faire les formalités avec l’agent au bout du ponton, à l’ombre.
Nous partons à pied visiter ce coin de Durrës. Le quai où nous nous trouvons donne sur un grand terrain vague que nous devons traverser. Puis nous croisons le parcours des camions qui entrent et sortent du port pour charger/décharger leur cargaison, des containers. Concert de klaxon gratuit au passage. Nous longeons ensuite les grilles du port, sortons par une passerelle et traversons un quartier aux immeubles délabrés. Nous continuons jusqu’à atteindre le bord de mer et la promenade recommandée par notre agent. Emile ne retrouve pas l’endroit où se situait l’hôtel où il a été hébergé lors de son voyage en 1975, la configuration des lieux ayant dû bien changer….Des immeubles modernes récents cotoient d’autres complètement délabrés. Durres a beau être LA ville touristique et balnéaire de l’ALbanie doublant de population l’été, il y règne quand même pas mal de pauvreté. L’esplanade est immense. Nous avisons un restaurant et nous demandons au gentil serveur des plats typiques du pays. Il nous sert du « Tavë dheu tradicionale » (casserole de de viande, poivron, tomate et ricotta) et du « Qofte shtëpie » (sortes de bâtonnets de chair à saucisses grillés accompagnées de frites) que nous partageons. Ce n’est pas mauvais, un peu gras tout de même. Il flotte dans l’air comme une odeur d’eau croupie. En se rapprochant de la mer, nous voyons un épais amas d’algues (sortes d’herbes de Posidonie) en putréfaction sur les galets, vraisemblablement à l’origine de l’odeur nauséabonde. Nous faisons quelques photos des immeubles bizarres et des statues (assez étonnantes) du front de mer et rentrons au bateau. Selon notre agent, un projet de plusieurs milliards d’euros de capitaux arabes doit transformer complètement le port, avec une super marina dont on peut voir une vidéo en images de synthèse sur Internet. Après les chinois qui investissent en Grèce et au Monténégro, voila les capitaux arabes du pétrole qui lorgnent sur l’Albanie !!! Mais que fait l’Europe ?